Les détenus handicapés au bout de leur peine
2011-05-19 09:09:09.062
Un pré-rapport d'expertise, versé au dossier d'un recours en indemnisation déposé par des détenus en fauteuil roulant, révèle que leurs conditions d'incarcération sont particulièrement difficiles à la Maison d'arrêt de Fresnes. De façon générale, le milieu carcéral français semble peu adapté à l'accueil de prisonniers à mobilité réduite.
Un prérapport d'expertise, dont L'Express a eu connaissance, suggère que le recours en indemnisation de neuf prisonniers handicapés pourrait trouver une issue favorable. Ces détenus en fauteuil roulant, étant ou ayant été incarcérés à la Maison d'arrêt de Fresnes, avaient conjointement déposé, en septembre 2010, un recours devant le tribunal administratif de Melun, à l'encontre du Ministère de la Justice. Ils dénonçaient des conditions de détention jugées "indignes".
es conclusions de l'expert-architecte semblent aller dans ce sens: les locaux de soins, la bibliothèque, la salle de culte, les douches ou encore la salle de spectacle sont inaccessibles aux personnes à mobilité réduite. Impossible donc pour les requérants de participer aux quelques activités proposées par la Maison d'Arrêt. Cette prison, ouverte en 1898, comprend tout de même quatre cellules, de deux places, spécialement aménagées: les lits sont médicalisés et les sanitaires adaptés. Mais, l'espace résiduel reste tellement exigu que deux détenus en fauteuil roulant ne peuvent se croiser... à moins que l'un ne sorte de la cellule.
Dans le reste des cas, les détenus doivent s'accommoder de cellules ordinaires. Il en découle des problèmes récurrents pour la vie quotidienne: les fenêtres sont trop hautes, les armoires sont inutilisables, les fauteuils roulants ne passent pas par la porte des cellules, les douches accessibles sont éloignées, les toilettes n'ont pas de barre de relevage...
La bricole comme solution
"Ce rapport d'expertise est consternant", commente Me Laure Heinich-Luijer, du barreau de Paris, qui défend plusieurs de ces requérants handicapés. L'administration pénitentiaire n'a, quant à elle, pas souhaité réagir.
Pour faire face à la situation, il faut improviser. "J'avais un client en fauteuil roulant que je rencontrais dans des conditions déplorables, raconte Me Heinich-Luijer. Dans le parloir, il fallait enlever la chaise et pousser la table pour lui permettre d'entrer. Moi, je restais donc debout, avec la porte ouverte et dans l'incapacité de prendre des notes! " De son côté, un détenu a choisi une solution plus radicale: il a "bricolé" son fauteuil roulant pour réduire sa largeur et ainsi passer les portes. L'opération est source de renversements et accidents.
Dans la majorité des cas, ces prisonniers handicapés sont aidés par des co-détenus. Ces derniers sont parfois rémunérés par l'administration pénitentiaire, pas plus de 3 euros de l'heure. Mais il s'agit, la plupart du temps, de bénévolat. " Il existe encore peu d'interventions professionnelles", souligne François Bès, responsable santé à l'observatoire international des prisons (OIP). "Cela peut créer des situations de racket obligeant les détenus à cantiner pour "remercier" la personne".
Environ 200 à 300 personnes à mobilité réduite se trouvent dans les prisons de France. "Actuellement, il existe 208 cellules aménagées. Ce nombre devrait être porté à 223 en 2011 et 229 en 2012 car certains établissements sont en cours d'ouverture", souligne l'administration pénitentiaire. Pour autant, l'ensemble des prisons n'est pas encore aux normes. "Dans les nouveaux établissements, le problème ne se pose plus. Mais dans les vieilles prisons ainsi que celles construites au début des années 2000, il reste des endroits qui ne sont pas adaptés aux personnes à mobilité réduite", explique François Bès.
D'ailleurs, la France a déjà fait l'objet d'une condamnation par la CEDH, en 2006, pour violation de l'article 3 prévoyant que "nul ne peut être soumis à (...) des traitements inhumains ou dégradants". La Cour a alors donné raison à Olivier Vincent, un détenu à mobilité réduite, incarcéré plusieurs mois à la maison d'arrêt de Fresnes. "Le fait que, pour passer des portes, le requérant ait été contraint d'être porté pendant qu'une roue de son fauteuil était démontée, puis remontée après que le fauteuil eut été passé l'embrasure de la porte peut en effet être considéré comme rabaissant et humiliant, outre le fait que le requérant était entièrement à la merci de la disponibilité d'autres personnes," souligne l'arrêt.
"Les vieux établissements ne sont pas adaptés"
Fort de cette première victoire, Olivier Vincent, paraplégique depuis un accident de voiture en 1989, persévère dans son combat. Méthodique, il compte poursuivre chaque établissement dans lequel ses conditions de détention ont été "indignes". La liste est longue. Condamné à dix ans de réclusion criminelle pour complicité d'enlèvement de mineur et séquestration d'otage, il a eu l'occasion de visiter de nombreuses prisons. Entre 2002 et 2009, treize transferts lui ont permis de découvrir successivement Nanterre (Hauts-de-Seine), Fresnes (Val-de-Marne), Osny (Val-d'Oise), Meaux-Chauconin (Seine-et-Marne), Villepinte (Seine-Saint-Denis), Châteaudun (Eure et Loire), Sequedin (Nord), Loos (Nord) et Liancourt (Oise).
De ce tour des prisons du nord de la France, Olivier Vincent conserve un souvenir impérissable. Il pointe les défaillances de chaque lieu: "un lit au ras du sol", "des fenêtres inaccessibles", ou tout simplement "l'enfer". Il attribue aussi les bons points: "un directeur exceptionnel et plein d'humanité", "un agencement meilleur qu'ailleurs"... Au bilan: "seuls les plans 4000 (ndlr: pour 4000 places) sont accessibles pour les détenus en fauteuil roulant. Contrairement à ce que peut dire l'administration pénitentiaire, les plans 13 000 ainsi que tous les vieux établissements ne sont pas adaptés", conclue-t-il.
Cette "forte tête" a profité de sa longue incarcération pour étudier le droit afin de "mieux se défendre". "J'ai lu tout le code de procédure pénale de A à Z, jurisprudence comprise", insiste-t-il. Passant de la théorie à la pratique, il obtient, le 17 avril 2009, une suspension de peine devant la cour d'appel de Douai. Cette décision marque l'une des premières victoires d'un détenu handicapé en application de la loi du 4 mars 2002. Ce texte prévoit la sortie de prison anticipée des personnes condamnées atteintes d'une "pathologie engageant leur pronostic vital" ou de celles présentant "un état de santé durablement incompatible avec leur maintien en détention". C'est ce dernier critère qui a été retenu pour Olivier Vincent.
Le vieillissement n'arrange rien
Pour autant, cette jurisprudence reste en construction et son application semble, aujourd'hui, assez restrictive. Elle se heurte à deux écueils: "D'abord les experts évaluent le degré d'impotence des détenus sans tenir compte des conditions d'incarcération. Ils se disent qu'il sera bien soigné en prison mais ne vont pas sur place!, commente Me Etienne Noel, du barreau de Rouen, spécialiste du droit des détenus. Ensuite, l'absence de structures d'hébergement est un critère qui restreint les aménagements de peines". Pour les personnes handicapées, les suspensions de peine sont donc souvent le fruit d'un combat juridique de plusieurs années. L'issue en est incertaine. Par exemple, à la maison centrale de Poissy (Yvelines), la requête d'un détenu aveugle et en fauteuil roulant a été refusée deux fois. Il s'est suicidé en janvier 2011 relate l'observatoire international des prisons.
Ces difficultés à obtenir des sorties anticipées ainsi que l'adaptation croissante des prisons au handicap traduisent le regard particulier de la société française sur l'enfermement. "Il faut poursuivre une détention coûte que coûte. Pour une personne handicapée, c'est de l'acharnement. On adapte les prisons dans la seule finalité d'aller a bout de la peine, ce qui est cruel", s'indigne Me Noel. Aux yeux de l'opinion, l'exécution de la peine doit passer par la prison, synonyme de sanction. "Les peines alternatives sont sous-utilisées car on manque de lieux, précise François Bès. L'aménagement des prisons est une façon de valider le fait que l'on puisse incarcérer des personnes âgées, malades ou handicapées". Le problème risque d'ailleurs de s'aggraver dans les années à venir car le vieillissement de la population carcérale va entraîner une hausse des situations de handicap.
Article original sur L'EXPRESS
Retour sur Rencontre-Handicap